Pharmacie : Frais de personnels, énergie… comment maintenir la rentabilité ?

Pour Olga Romulus, expert-comptable chez Fiducial, et Philippe Becker, consultant pharmacie chez Fiducial, les économies à réaliser pour alléger les résultats d'exploitation ne sont pas obligatoirement celles auxquelles on pense.

 

Le Quotidien du pharmacien. - Vous insistiez récemment sur la vigilance qu’il faudra avoir en 2022 et surtout en 2023 concernant la possible envolée des charges d’exploitation dans un contexte d’inflation et de renchérissement du coût de l’énergie. Que représentent actuellement ces charges d’exploitation dans le compte de résultat d’une pharmacie ?

Philippe Becker. - Schématiquement la masse salariale représente, selon notre dernière étude, 10,27 % du chiffre d’affaires hors taxes, avec des variations suivant le mode d’exercice et la localisation de l’officine. Pour ce qui est des charges externes et d'autres achats (dont l’énergie), leur poids rapporté au chiffre d’affaires est de 5,35 % pour l’officine dite standard. Mais là aussi on rencontre des différences liées à la situation rurale ou urbaine. Il faut ajouter que les modes de financement des investissements (informatique – robot) peuvent influer sur le montant. Si on raisonne en grande masse, les frais de personnels et les frais d’exploitation directs représentent 16 % du chiffre d’affaires d’une pharmacie standard soit, et cela est important à mentionner, la moitié de la marge brute (31,21 % du CA HT).

 

Au-delà des pourcentages, pouvez-vous convertir en euros cette augmentation de 6 % de ces frais pour une pharmacie standard, quelle est l’incidence ?

Olga Romulus. - Le chiffre d’affaires moyen dans notre étude est de 1, 780 million d'euros, par conséquent la masse salariale et les charges externes représentent 284 000 euros. Quant à l’impact d’une hausse annuelle de 6 % des coûts de structure, il atteint 17 000 euros. L’incidence équivaut à environ un point de marge brute !

Faut-il s’attendre à des niveaux équivalents pour 2022 et 2023 ?

Olga Romulus.- Pas forcément car il faut déjà distinguer les charges qui potentiellement subiront les effets de l’inflation de celles qui, pour des raisons contractuelles, devraient y échapper tout au moins provisoirement. L’analyse des postes montre que les charges financières déjà engagées ne bougeront pas car les emprunts sont à taux fixe. Sur le même registre, tous les contrats conclus à moyen terme n’augmenteront pas non plus : à titre d’exemple, les échéances d’un crédit-bail sont fixées pour la durée de la location. Concernant les baux commerciaux, ils augmenteront en fonction des indices prévus au contrat en général, il s’agit de l’indice des loyers commerciaux (ILC) qui a progressé de 3,32 % au premier trimestre 2022. C’est moins que l’inflation mais il y aura certainement un effet de rattrapage car deux des composantes sont directement basées sur l’indice des prix à la consommation et l’indice des prix de la construction neuve.

En revanche, les pharmaciens peuvent s’attendre à une augmentation des frais de personnel et des coûts de l’énergie. Quelle est votre analyse sur ces deux points sensibles ?

Philippe Becker. - Les tensions sur le marché de l’emploi en pharmacie ont deux effets qui pourraient théoriquement se contrebalancer. D'un côté, une surenchère dans certaines régions sur les salaires d’embauche, et que tous les pharmaciens constatent. D’un autre côté, une part significative de nos clients titulaires nous disent souffrir de sous-effectif chronique donc, avec pour résultat, un ratio masse salariale sur chiffre d’affaires inférieur à 10 %. Cela étant dit, nous avons constaté une variation de la masse salariale de 7 % pour les pharmacies de ville et de 4,6 % en milieu rural, entre 2021 et 2022. Il faut donc tabler sur une progression au moins égale à l’inflation dans les prochains mois.

Concernant plus précisément la question des coûts de l’énergie. Quels effets aura, selon vous, la hausse des prix ?

Olga Romulus. - Même si nous n’analysons pas, dans le détail, les coûts liés à l’énergie en officine, nous voyons aisément à travers les sondages que cela représente entre 2 000 et 5 000 euros par an. Il s’agit principalement de l’électricité. Chacun comprend que les facteurs qui jouent sont le mode de chauffage, la surface et l’amplitude d’ouverture. Au-delà, les équipements informatiques et les robots pèsent de plus en plus. Il est donc difficile d’imaginer pouvoir faire des économies et, de toute manière, leur impact sera faible. Il faut être fataliste et considérer que la note énergie va progresser de 15 % pour la plupart des pharmacies. En tout cas pour celles dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur à 2 millions d’euros HT et qui emploient moins de 10 salariés, compte tenu de l’extension du bouclier tarifaire aux TPE. Ajoutons que leur compteur doit délivrer moins de 36 kilovoltampères (kVA). Pour toutes les autres pharmacies, la note sera, sans aucun doute, plus élevée que 15 % !

Quel est selon vous le risque d’un effet de ciseaux sur la rentabilité en 2023 ? Faut-il déjà s’en inquiéter ?

Philippe Becker. - La réponse dépendra de l’évolution de l’activité en volume car le pharmacien ne peut pas répercuter la hausse des prix sur les médicaments remboursables, qui représentent 70 % en moyenne de son chiffre d’affaires. Concernant les produits à marge libre, la décision se fera en fonction de la concurrence mais certains pharmaciens modifient déjà leur prix, anticipant probablement cet effet de ciseau. Il est clair que les officinaux devront regarder de très près les niveaux de marge pour maintenir les résultats d’exploitation à un bon niveau. La politique d’achat devra être sérieusement menée et il faudra, si nécessaire, faire des arbitrages sur des rayons non rentables.

Propos recueillis par Marie Bonte - Quotidien du Pharmacien 

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