Pharmacien : Endettement, garder une marge de sécurité !

Avec plus de huit pharmaciens sur dix endettés, la profession entretient une dépendance structurelle au secteur bancaire, comme l’exposent Philippe Becker et Christian Nouvel, experts-comptables de FIDUCIAL.

Rien de grave à ce que marché officinal soit perfusé par les emprunts bancaires. Cette caractéristique est même historique. Pour autant, les experts-comptables réitèrent leurs mises en garde. Les titulaires ne doivent pas perdre de vue la progression du montant de l’excédent brut d'exploitation (EBE) et le potentiel de croissance de l’activité ou de la marge brute. Car, rappellent-ils, l’EBE doit être suffisamment constant pour garantir le remboursement de l’emprunt et, si possible, une marge de sécurité.

Le Quotidien du pharmacien. - Vous avez évoqué le mois dernier l’évolution de l’investissement des officinaux au cours des années passées. Votre dernière étude économique montre également une situation d’endettement qui paraît importante puisque, en 2020, 84,40 % d’entre eux sont endettés via un emprunt bancaire. Est-ce tenable sur le long terme ?

Philippe Becker. - Les pharmaciens, comme les agriculteurs, sont fortement endettés, c’est vrai, mais pas forcément pour les mêmes raisons ! La forte valorisation des fonds officinaux qui a réellement débuté au début des années 1980 a créé un besoin en financement très important. Il faut avoir à l’esprit que dans les deux décennies précédentes, beaucoup de pharmacies se transmettaient avec un crédit vendeur ! Dans le contexte de l’époque où les banques s’intéressaient de plus en plus aux professions libérales, les officines sont apparues comme un bon risque, avec un retour sur investissement élevé pour les prêteurs. N’oublions pas que dans les années 1980, l’inflation était forte, tout comme les taux d’intérêt. Il faut aussi ajouter que l’apport personnel des jeunes diplômés est en général faible. De même, emprunter crée un effet de levier fiscal grâce à la déduction des frais financiers. Tout ceci explique cette addiction des pharmaciens au financement bancaire qui, au final, ne se gère pas si mal.

Justement cette appétence pour le financement bancaire des officines n’a-t-elle pas eu pour conséquence une augmentation mécanique des prix ?
Christian Nouvel. - C’est exact car la compétition entre les banques, qui est une attitude normale et saine, a eu pour corollaire une forme de surenchère sur les conditions de financement octroyées aux acquéreurs. Aux prémices, on finançait sur 10 ans, puis on est vite passé à 12 ans. Sur le registre de l’apport personnel, les exigences ont aussi diminué : exigeant au départ entre 15 et 20 % d’apport personnel, on s’est contenté de 5 à 10 %, voire de 0 % ! Tout cela a créé une magnifique bulle financière qui a explosé au milieu des années 1990 avec pas mal de « laissés pour compte ». Et comme l’Histoire a tendance à bégayer, on a remis cela en 2008… On peut effectivement dire qu’il y a une relation entre le prix des officines et l’envie des banquiers de prêter – mais cela est vrai dans beaucoup de domaines de l’économie.

Y a-t-il des alternatives au financement bancaire pour le monde de l’officine ?

Philippe Becker. - La première alternative est l’entrée au capital de fonds d’investissement. Aujourd’hui, compte tenu de la réglementation professionnelle, cette solution n’est envisageable que d’une manière marginale via des investisseurs pharmaciens. En général, cette option a pour vocation d’aider un jeune diplômé à compléter un apport trop faible. Il s’agit d’une participation minoritaire au capital à durée déterminée. La seconde alternative est la création d’obligations qui peuvent être souscrites par n’importe quelle personne souhaitant placer de l’argent. Cette formule est à durée déterminée, avec un coût plus fort pour l’emprunteur et en général elle ne couvre qu’une partie des besoins de financement. Dans le premier cas, l’investisseur espère soit des dividendes à moyen terme, soit une plus value sur ses titres, voire les deux. Dans le deuxième cas, le prêteur attend une rémunération supérieure à ce qu’il peut espérer sur un placement sans risque. Ces deux formules se sont développées au travers de fonds professionnels ou de « booster d’apport », qui complètent les fonds propres apportés par les jeunes acquéreurs. Il faut aussi avoir à l’esprit que depuis 15 ans les banquiers sont beaucoup plus exigeants sur le montant de l’apport personnel.

En résumé dans les deux scénarios, il faudra malgré tout emprunter auprès d’un banquier ! En tant qu’expert-comptable comment fixez-vous la limite à ne pas dépasser pour l’endettement ?

Christian Nouvel. - La capacité d’emprunt est liée de manière quasi mécanique à l’excédent brut d’exploitation (EBE) généré par la pharmacie. L’EBE doit permettre de faire face au remboursement mensuel de l’emprunt, quel que soit son objet, en tenant compte des autres postes de son utilisation : la rémunération du ou des gérants, l’impôt sur les sociétés, les besoins en financement de l’exploitation au quotidien (augmentation du stock, par exemple). En d’autres termes, en cas d’insuffisance, le dossier ne pourra pas être présenté. Bien évidemment, l’expert-comptable aura la faculté de faire une simulation pour son client afin d’évaluer en fonction de données précises et vérifiables la progression du montant de l’EBE dans le temps, tout en restant raisonnable sur les hypothèses de croissance de l’activité ou de la marge brute par exemple. En résumé, on ne peut emprunter que ce que l’on peut rembourser !

Justement actuellement, compte tenu de l’embellie constatée sur l’économie de l’officine, ce doit être plus facile de faire valider des demandes de prêts auprès des banques !

Philippe Becker. - Justement, c’est l’erreur à ne pas commettre que de prendre en compte des éléments de chiffre d’affaires qui sont volatils : le cas des tests Covid en est un, mais il y a d’autres points de vigilance : une fourniture de produits à un Ehpad peut être rentable, mais elle peut disparaître subitement. Le document prévisionnel et l’évolution de la trésorerie sont bâtis sur cinq ans pour justement lisser les éléments exceptionnels qui peuvent perturber l’analyse – l’idée de base est que l’EBE doit être suffisamment constant pour le remboursement de l’emprunt avec, si possible, une marge de sécurité.

Un point important est le taux d’intérêt qui rend plus facile un financement. Or actuellement les taux sont historiquement bas. Quel est votre pronostic pour les prochaines années ?

Philippe Becker. - Un pronostic peut-être pas, une intuition peut-être ! Ce qui a changé dans les dix dernières années c’est la puissance des crises qui sont violentes mais qui trouvent une issue plus rapidement qu’auparavant – ayons à l’esprit que les effets de la crise de 1929 existaient encore pendant la deuxième guerre mondiale ! La crise financière de 2008 et celle dite du Covid 19 semblent avoir été rapidement surmontées, et puis nous voilà avec la guerre en Ukraine et ses conséquences probables ! Ce qui a changé est le fort interventionnisme des États, sans exception, pour créer une sorte de bouclier anti-crise et, pour ce faire, il leur faut emprunter sur les marchés au meilleur coût possible. Donc, globalement, les États n’ont absolument pas intérêt à voir les taux remonter… sous peine de faillite !

Propos recueillis par Marie Bonte

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