Quitter la sécurité sociale : le chant des sirènes

En ces temps où l’on s’attache à vouloir résoudre tous les déficits, forcément il est question de maîtrise des dépenses et d’augmentation des recettes.

Cela touche tout le monde et en matière de sécurité sociale, plus particulièrement les travailleurs non salariés. Ceux-ci voient leurs cotisations augmenter d’année en année et les maladresses de gestion du RSI ne font qu’augmenter leur ressentiment.

Alors, au milieu de cette mer de mécontentement, s’élèvent des voix séduisantes promettant une vie meilleure à tous ceux qui franchiront le pas et abandonneront le navire « Sécurité sociale » pour s’en remettre à la protection d’organismes privés établis hors de France.

Quelques mouvements contestataires du monopole de la sécurité sociale, tel le M.L.P.S. (Mouvement pour la liberté de la protection sociale), essaient d’entraîner dans leur sillage des chefs d’entreprises leur laissant croire que ce monopole a déjà sauté. Malheureusement, en agissant ainsi, ils font peser sur les patrons de TPE de graves risques qui ont été confirmés à la fois par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) et la Cour de cassation. Ils font des interprétations erronées de la jurisprudence.

Ces mouvements confondent leur projet politique et l’état du droit. Ils pensent qu’en appelant à la désobéissance, ils feront avancer leurs idées. Mais, en attendant, ce sont des chefs d’entreprise, déjà en situation de faiblesse financière, qui paient les pots cassés. C’est d’ailleurs ce qu’a voulu sanctionner le législateur en renforçant l’arsenal répressif contre ceux qui incitent à la « désaffiliation ».

Les fondements de l’affiliation et des cotisations

Le droit à la sécurité sociale est inscrit au préambule de la Constitution de 1946 : « la nation garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, de la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler, a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ».

Ce principe constitutionnel a permis au législateur d’organiser la sécurité sociale et d’imposer une obligation d’affiliation à toute personne qui exerce une activité professionnelle salariée ou non.
Il a également été fait le choix de créer différents régimes obligatoires : le régime général, le régime social des indépendants et le régime social agricole.

Récemment, la Cour de cassation a barré la route à toute contestation de constitutionnalité des textes en affirmant le principe : « il ne saurait être sérieusement soutenu que les dispositions critiquées (les articles L 131-6 et L 633-10 du code de la sécurité sociale) méconnaissent les exigences du principe de l’égalité devant les charges publiques énoncé à l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 (Cass. 2ème civ. 5 mars 2015 n° 14-40.055).

Concernant le régime social des indépendants (artisans, commerçants, professions libérales), celui-ci est institué à l’article L. 611-3 du code de la sécurité sociale. Cet article, combiné aux articles L. 111-1 et 111-2-2 du même code, crée donc une obligation d’ordre public de s’inscrire et cotiser dès lors que l’on exerce une activité professionnelle non salariée.

Il en est de même du régime agricole dont la gestion a été confiée à la MSA et dont le monopole vient d’être confirmé par la chambre criminelle de la Cour de cassation (Cass. Crim. 24 février 2015 n° 14.80-050).

Enfin tout dernièrement, la cour d’appel de Limoges, dans un arrêt en date du 23 mars 2015, retient que le RSI est un organisme de sécurité sociale de droit privé doté de la personnalité morale et chargé d’une mission de service public, et qu’à ce titre, en application des principes généraux de la sécurité sociale on ne peut échapper à son affiliation.

L’interprétation des juges

Ce renoncement au paiement de cotisations nourrit un contentieux assez abondant qui vient malheureusement encombrer les tribunaux et qui au final pénalise gravement le chef d’entreprise.

La dernière décision citée plus haut est assez remarquable car, même si elle concerne le régime agricole, elle augure ce que seront les prochaines décisions de la Cour de cassation pour le régime général et le régime des indépendants pour laquelle « selon la Cour de justice de l’Union européenne, les dispositions des directives du Conseil des communautés européennes des 18 juin 1992 et 10 novembre 1992 concernant la concurrence en matière d’assurance ne sont pas applicables aux régimes légaux de sécurité sociale fondés sur le principe de solidarité nationale dans le cadre d’une affiliation obligatoire des intéressés et de leurs ayants droit énoncée à l’article L. 111-1 du code de la sécurité sociale ».

En prenant comme fondement l’article L. 111-1 du code de la sécurité sociale, les magistrats énoncent très clairement que, quel que soit le régime contesté (régime général, RSI, MSA), sa décision sera toujours la même. Il est impossible de contester un régime fondé sur le principe de solidarité nationale car il est obligatoire de s’y affilier et le droit de la concurrence ne trouve pas à s’appliquer en la matière.

Des sanctions s’appliquent aux personnes qui ne déclarent pas leur activité ou qui refusent de verser leurs cotisations

De plus en plus de cotisants qui refusent de verser leurs contributions se retrouvent devant les tribunaux. Les exemples commencent à être nombreux et on peut en avoir un aperçu ici.
Toute personne qui refuse délibérément de s'affilier ou qui persiste à ne pas engager les démarches en vue de son affiliation obligatoire à un régime de sécurité sociale, en méconnaissance des prescriptions de la législation en matière de sécurité sociale, est punie d'un emprisonnement de six mois et d'une amende de 15 000 euros, ou seulement de l'une de ces deux peines. Elle s’expose également à d’autres sanctions.

Les sanctions pénales

L’exercice d’une activité qui n’aurait pas été déclarée est constitutif du délit de travail dissimulé, passible d’une peine d’emprisonnement de 3 ans et d’une amende de 45 000 euros.
Le refus de cotiser à la sécurité sociale, expose l’employeur comme le travailleur indépendant à une amende de 450 euros ou 1 500 euros en cas de récidive.

Les sanctions civiles

A ces sanctions pénales, s’ajoutent :

  • l’obligation de régulariser la dette (cotisations dues, majorations de retard et pénalités pour non-respect des obligations déclaratives) ;
  • le recouvrement forcé engagé par voie d’huissier pouvant aller jusqu’à la saisie de tous les biens appartenant au débiteur et alors même qu’ils seraient détenus par des tiers ;
  • le rétablissement d’office des montants effectivement dus en application des dispositions du code de la sécurité sociale sur une période qui peut remonter aux trois années antérieures (cinq en cas de travail dissimulé) et en leur appliquant des majorations de retard ;
  • le remboursement de prestations : les caisses primaires qui auraient versé des prestations de maladie de longue durée ou d’accident du travail peuvent en poursuivre le remboursement auprès de l’employeur à hauteur des cotisations et contributions dues (article L. 244-8 du code de la sécurité sociale).

A ces sanctions s’ajoutent :

  • l’impossibilité de soumissionner un appel d’offres de marché public,
  • le retrait de tout contrat de sous-traitance, dès lors que l’attestation de vigilance qu’elle doit fournir en cas de contrat supérieur à 3 000 euros démontrera qu’elle n’est pas à jour de ses cotisations.

Enfin, est entaché d’une nullité d’ordre public tout contrat d’assurance souscrit par toute personne tenue de cotiser auprès des régimes obligatoires de sécurité sociale au titre de son activité non salariée, pour couvrir des risques couverts par la sécurité sociale. Cela rendra impossible la déductibilité des cotisations du résultat de l’entreprise.

L’aide et l’incitation à cesser de cotiser à la sécurité sociale sont également sanctionnés

Toute personne qui, par quelque moyen que ce soit, incite les assujettis à refuser de se conformer aux prescriptions de la législation de sécurité sociale, et notamment de s'affilier à un organisme de sécurité sociale ou de payer les cotisations et contributions dues, est punie d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de 30 000 euros ou de l'une de ces deux peines seulement.

En outre, est responsable pénalement toute personne qui propose ou fait souscrire un contrat d’assurance privée (retraite, prévoyance, maladie…) garantissant les risques couverts à titre obligatoire par la sécurité sociale au profit d’un travailleur indépendant non à jour de ses cotisations de sécurité sociale. Les personnes condamnées à ce titre sont tenues solidairement responsables des cotisations obligatoires d’assurance maladie et vieillesse qui auraient dû être versées par l’assuré depuis la date de souscription du contrat.

Il est donc indispensable, avant de prendre une décision aussi aventureuse que de cesser de verser ses cotisations de sécurité sociale, de revenir à la raison et de consulter son expert-comptable ou son avocat à ce sujet. Ils sauront, chacun en ce qui les concerne, apporter au chef d’entreprise le conseil adéquat.

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