Les défis de l'économie officinale pour 2023

Consultant externe pour le département Pharmacie chez Fiducial, Philippe Becker analyse, pour le Quotidien du Pharmacien, de manière prospective les différents défis que l'économie officinale aura à relever dans les mois à venir, alors que de nombreuses incertitudes continuent de peser sur l'évolution de l'épidémie de Covid et de l'inflation.

 

Le Quotidien du pharmacien. - La vaccination contre la grippe et contre le Covid ainsi que la résurgence des pathologies hivernales sont-elles susceptibles de stimuler de manière significative l’activité économique de ce début d’année  ?

Philippe Becker. - Pour l'année 2023, il semble assez clair que l'on va assister à un atterrissage en douceur. Bien évidemment la dernière vague du Covid et les pathologies hivernales vont booster encore l'activité pour le premier trimestre, mais au-delà, il faut être prudent sur l'évolution des chiffres d'affaires. Il faut avoir à l'esprit que 2021 et 2022 sont des millésimes exceptionnels. Par conséquent les comparaisons sont faussées. On fera certainement mieux qu'en 2019, c'est sûr. Mieux qu'en 2022 ? Pas si sûr  !

Les pénuries de médicaments et, dans une moindre mesure, la grève des médecins, peuvent-elles à terme avoir une incidence sur le chiffre d’affaires de l’officine  ?

Ces événements ne sont jamais de bons signes pour l'économie de l'officine s'ils perdurent. Les pénuries de médicaments sont devenues par leur importance et leur fréquence un problème majeur. Elles impactent les chiffres mais aussi la relation avec la clientèle car le pharmacien est en bout de chaîne et il apparaît comme le responsable. Ce qu'il n'est pas  !

La pression salariale (augmentation du SMIC de 1,81 % au 1er janvier, suivie d'une possible revalorisation de la grille des salaires, dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre) risque de peser sur l’économie officinale, dans une période de récession. Quelle attitude préconisez-vous  ?

Le risque que tous les experts-comptables qui s'intéressent à l'économie officinale mettent en exergue depuis un an est l'effet dit de ciseau ! En d'autres termes, des charges d'exploitation qui progressent à la vitesse de l'inflation, voire plus, avec une activité qui freine fortement. Nous n'y sommes pas encore, mais l'année 2023 sera une année charnière qu'il faudra surveiller.

Dans ces situations, les officinaux ont intérêt à garder la tête froide sur ce qui admissible et ce qui ne l'est pas ! La masse salariale représente un tiers de la marge brute en moyenne. Il faut, par conséquent, bien maîtriser le sujet : les embauches à n'importe quel prix se paieront cher dans les prochaines années car elles créent des situations explosives ! À ma meilleure connaissance, aucune officine n'a le budget d'un club de foot de première division  !

Au-delà de ce constat, cette situation de pénurie de bras va aussi finir par créer une distorsion entre les pharmaciens qui ont remboursé leur emprunt et ceux qui sont encore fortement endettés : les premiers auront, s'ils le souhaitent, la possibilité de recruter au prix fort et les autres non  !

Alors qu’un taux d’inflation de 7 % est annoncé pour le mois de janvier*, quels seront les postes de dépenses les plus exposés à une hausse des prix  ?

Tous les postes liés à l’énergie et les services vont fortement augmenter. En revanche, les charges liées à des contrats à moyen terme, tels que le crédit-bail et la location financière, devraient rester stables jusqu'à la fin des périodes contractuelles. Le coût des travaux de rénovation va également subir le contrecoup de l'augmentation du prix de matières premières dans un contexte où le financement sera un peu plus cher. Cette situation pourrait entraîner un certain attentisme sur les décisions d'investissement ! Ajoutons que les titulaires, qui ont de la trésorerie, la verront fondre comme neige au soleil puisque les banques ne proposent actuellement aucun placement rémunérateur.

Un décret paru le 17 décembre prolonge jusqu’en décembre 2023 les aides aux entreprises afin de compenser en partie la flambée des coûts de l'énergie. Vous semble-t-il pertinent d’y faire appel  ?

Tout dépend de l'impact des hausses de l’énergie. Ce poste en pharmacie n'est en rien comparable à celui de certains commerces de proximité comme les boulangeries ou les supérettes. Cela étant, pour des officines développées sur des grandes surfaces ce peut être à envisager, si on coche les conditions.

Les nouvelles missions sont définitivement intégrées comme composantes de l’activité économique de l’officine. Est-il possible de chiffrer ce que représentera l’extension de la vaccination  ?

Concernant la vaccination, il y a les aléas de la psychologie des patients qui, selon l'humeur et les informations radio ou tv du matin, décident ou pas de se faire piquer…
Par conséquent, une modélisation économique à partir de la récente pandémie serait fausse car il y avait alors une vraie pression pour la vaccination  !

Certaines missions de santé publique, comme la distribution des préservatifs aux moins de 26 ans, ont tendance à se multiplier. Faut-il s’en inquiéter pour l’économie officinale ou, au contraire, s’en réjouir pour l’image bénéfique qui en résulte pour la pharmacie  ?

Les nouvelles missions font désormais partie de l'activité officinale et il faut s'en réjouir car cela renforce le rôle du pharmacien auprès de la population et, en plus, cela rend un vrai service, compte tenu de la situation compliquée de la médecine de ville. Si la contribution de l'activité dite « nouvelles missions » est de plus en plus forte dans la marge brute officinale, elle reste insuffisante en allure de croisière (c’est-à-dire hors pandémie de type Covid-19) pour, par exemple, compenser l'effet significatif de l'augmentation de volume des produits chers, à faible marge en valeur relative.

Ce qui est réellement positif, c'est de voir les officinaux entrer dans une relation de pédagogie avec les patients sur tous les sujets qui touchent à leur santé. Ceci vaut tout particulièrement pour la prévention qui sera le défi à relever dans les prochaines années. À titre d'exemple, l'aide au sevrage tabagique, l'information sur la contraception et bien d'autres sujets devraient être mieux rémunérés, car c'est un enjeu de santé publique mais aussi le gage d'une réduction des déficits sociaux à moyen terme.

Propos recueillis par Marie Bonte
 

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