Baromètre des TPE n° 64 - 4e trimestre 2016

Ce trimestre, nous étudions la composition et la valeur du patrimoine des chefs d’entreprise, ainsi que leur capacité d’épargne. L’immobilier et la prudence en sont les fondements.

Enfin, après les inégalités et la précarité, après la fiscalité, le volet politique et sociétal de ce trimestre porte sur l’immigration et sur la sécurité, sujets considérés par les patrons de TPE comme des enjeux importants de la campagne présidentielle. Une majorité des dirigeants de TPE considère qu’il est possible de traiter sereinement ces questions sensibles.

Grandes lignes

L’insécurité et l’immigration, bien qu’elles ne soient pas consubstantielles, seront à n’en pas douter des thèmes centraux de la prochaine campagne présidentielle. Pas parce que certains partis ou politiques en font l’ossature de leur rhétorique, mais parce que ces questions préoccupent la grande majorité des Français.

Ces deux sujets sont hautement sensibles, car en fond se trouvent des femmes et des hommes, des victimes, la misère et la pauvreté, des différences culturelles et religieuses, des peurs enfouies, des amalgames et des confusions (auxquels nous n’échappons pas en traitant ces deux thèmes de façon conjointe)… C’est pourquoi les discussions et les débats tournent souvent courts, pas uniquement chez les politiques ou dans les médias, mais aussi chaque jour, entre citoyens. Les invectives et le déni des arguments de l’autre l’emportent sur la rationalité. Les « t’es raciste », « t’es extrémiste » répondent aux « t’es déconnecté des réalités », « tu ne vis pas sur la même planète ».

Alors est-il possible d’évoquer sereinement ces sujets ? Une forte proportion de chefs d’entreprise le pense. En fait, elle est là la véritable responsabilité des politiques et des médias, eux qui devraient être en principe plus éclairés que les citoyens, et davantage les éclairer. Se répéter à l’envi sur l’échec de l’intégration, sur la fermeture des frontières, sur le sentiment grandissant d’insécurité ne résout pas les problèmes. Certes, ces politiques captent et rallient habilement à leur cause les personnes en perte de repères et celles, très nombreuses, fatiguées de l’impuissance des gouvernants successifs. Mais pour faire quoi, car au final la réalité est si complexe qu’elle rend inapplicables les solutions toutes faites et grossières ?

Les problèmes existent, il est inutile de les nier. Si l’outrance n’a jamais été la voie, elle a le mérite d’exhorter une société trop policée, où le parler vrai a laissé la place au parler mou, au langage édulcoré, sans aspérités. La politique en est devenue la caricature même. A ne pas vouloir voir ce qui est, à refuser d’entendre ce qui se dit ou se murmure, à ignorer les craintes inavouées d’une grande partie de la population, les gouvernants créent de l’incompréhension, de la frustration voire de la haine. A ne pas utiliser les bons mots pour décrire les vrais maux, ils faussent le diagnostic et proposent des réponses inappropriées.

Si l’on veut admettre que la politique est un métier qui nécessite des compétences spécialisées, comme tout un chacun dans sa propre activité, le citoyen est alors en droit d’être exigeant sur le niveau de « prestations ». A défaut, il est tout aussi logique que le citoyen éconduise l’élu, à l’instar du client non satisfait de la qualité d’un bien ou d’un service qui se détourne de son fournisseur. Les professionnels de la politique n’ont pas dû répondre à cette exigence, sinon les patrons de TPE n’aspireraient pas aussi massivement à ce que le prochain président de la République soit issu de leur rang.

Methodologie de l'Etude :

 

Le regard des patrons de TPE sur l'immigration

Tout au long de cette année pré-électorale, le Baromètre des TPE propose des études sur des sujets considérés par les patrons de TPE comme des enjeux de la prochaine campagne présidentielle. Après les inégalités et la précarité, après la fiscalité, l’enquête de ce trimestre porte sur l’immigration et sur la sécurité.

Pour plus de huit dirigeants de TPE sur dix, la question de l’immigration constituera un thème important de la prochaine campagne présidentielle. A titre personnel, près des deux tiers déclarent y porter un intérêt, même s’ils sont un peu moins nombreux à vouloir en faire un critère de choix au moment de leur vote.

Les avis des chefs d’entreprise sur l’immigration sont très partagés (quasiment 50/50), que ce soit sur le nombre d’immigrés installés en France, sur la répartition équitable de l’accueil des migrants par notre pays en comparaison des autres nations, ou encore sur la fermeture de l’espace Schengen aux migrants. En revanche, ils militent en masse (sauf chez les sympathisants du Front National) pour une politique européenne de l’immigration commune à tous les pays de l’Union.

Il faut également souligner l’inquiétude suscitée par l’immigration chez une partie des chefs d’entreprise (57 %). Ils avancent comme principal argument les différences culturelles et religieuses et la mise en péril sous-jacente de notre modèle culturel. Ils la motivent aussi par l’échec de l’intégration des populations étrangères ou la présence trop nombreuse d’immigrés.

Pour les patrons de TPE qui estiment que la France a échoué depuis un demi-siècle à intégrer les personnes immigrées et les populations issues de l’immigration, les causes sont multiples, bien qu’aucune ne recueille une majorité. Ils dénoncent un manque de volonté, d’abord des politiques, ensuite de la société et enfin des immigrés eux-mêmes. Ils stigmatisent dans une moindre mesure les différences religieuses et culturelles, ainsi que le manque d’emplois en France. Peu l’expliquent par le manque de moyens financiers de la France.

L’action de la France en faveur des migrants fuyant les conflits au Proche et Moyen-Orient ou en Afrique est jugée sévèrement (qualité de l’accueil et moyens matériels, apprentissage de la langue française), voire très sévèrement (accompagnement vers l’emploi). A ce titre, les chefs d’entreprise insistent sur la nécessaire mise en oeuvre rapide de moyens pour permettre leur intégration économique. En outre, 48 % des patrons de TPE (soit 15 points de plus qu’un an plus tôt) seraient prêts à embaucher un migrant si des mesures d’accompagnement spécifiques étaient prises pour faciliter leur adaptation (cours de langue, subvention pour des formations…).

46 % des TPE employeurs salarient actuellement, ou ont salarié, au moins un travailleur immigré n’ayant pas la nationalité française. Ce taux monte à 69 % dans l’hôtellerie restauration (France métropolitaine) et à 66 % en région parisienne (toutes activités confondues). Si les travailleurs européens dominent légèrement le classement devant les travailleurs africains, les TPE emploient de façon plus marginale des travailleurs asiatiques (Proche, Moyen et Extrême Orient) et des travailleurs venant du continent américain.

L’emploi de salariés immigrés est jugé comme une expérience positive par une très forte majorité d’employeurs (82 %). Il enrichirait les relations et les méthodes de travail. Il ne perturberait pas le fonctionnement de l’entreprise, bien qu’il nécessite fréquemment davantage de suivi et de formation lors de l’intégration desdits salariés. Il favorise aussi, parfois, la créativité et l’innovation. Les travailleurs immigrés feraient preuve, dans la plupart des cas, de qualités équivalentes aux salariés français (compétences techniques, organisation, esprit d’équipe et d’entreprise, sens de l’initiative, respect de la hiérarchie). A noter un avantage reconnu en matière de maîtrise de plusieurs langues.

La sécurité vue par les patrons de TPE

Pour les chefs d’entreprise, la sécurité évoque la lutte et la protection, d’abord contre la menace terroriste, ensuite contre les agressions physiques, puis contre les incivilités et enfin contre les vols et les effractions.

Plus encore que l’immigration, la sécurité est une question qui intéresse personnellement une forte proportion de dirigeants de TPE (73 %), et qui constituera un critère de choix au moment de leur vote (64 %). Ce sujet sensible est à manier avec précaution tant il recouvre de réalités différentes, tant il est fondé sur des perceptions, parfois ambivalentes.

Alors que seulement 17 % des patrons de TPE avouent avoir un sentiment d’insécurité dans leur quotidien, plus du double estiment élevé le risque de violence et d’agression à leur égard ou à celui de leur famille. Les dirigeants craignent encore plus pour les Français en général ; un sentiment probablement renforcé par un niveau de menace terroriste jugé élevé et par une perception majoritaire d’une augmentation de la délinquance au cours des derniers mois

Le risque pèserait donc plus sur l’autre que sur soi. Étonnante impression, surtout que de nombreux patrons de TPE déclarent avoir subi à une ou plusieurs reprises au cours des dix dernières années, dans le cadre de leur vie privée (74 %) et dans leur entreprise (59 %), des menaces verbales, un cambriolage, un vol, un piratage informatique et/ou une agression physique.

Un quart des TPE ne dispose d’aucun équipement spécifique contre les risques d’insécurité en vue de les protéger, de protéger leurs salariés et leurs moyens d’exploitation. En revanche, les autres se limitent rarement à un seul équipement. L’alarme est présente dans 42 % des TPE. Des gilles de protection (36 %) et des portes ou vitrines blindées (25 %) prémunissent les entreprises contre les intrusions malveillantes et le vol. Un quart des TPE sont placées sous surveillance vidéo. 12 % des TPE sont protégées par un chien de garde et seulement 3 % emploient un vigile. Un patron de TPE sur dix est muni d’une arme d’autodéfense. Un tiers des TPE a réalisé un investissement en matière de sécurité au cours des deux dernières années, principalement pour faire face à la recrudescence de l’insécurité et pour rassurer clients et salariés.

Sur le plan informatique, les patrons de TPE redoutent surtout un virus informatique détruisant leurs données ainsi que le vol des codes bancaires et de mots de passe. Ils craignent moins l’espionnage de leurs données informatiques ou le blocage de ces données contre rançon.

Les TPE se garantissent majoritairement en maintenant à jour un anti-virus, mais beaucoup moins en sollicitant un contrôle régulier de leur système informatique par un spécialiste. Et rares sont ceux qui ont rédigé des consignes pour leurs collaborateurs. En revanche, 55 % déclarent avoir souscrit un contrat d’assurance spécifique pour indemniser les préjudices (une excellente idée !).

Une conjoncture économique toujours tendue

Avant d’aborder l’épargne et le patrimoine des patrons de TPE, faisons le point sur leur moral, leur activité et l’emploi.

Au trimestre précédent, les indicateurs historiques de conjoncture avaient tous connu un rebond significatif, sans pouvoir en identifier l’origine. Trois mois plus tard, cette tendance marque le pas. Le pessimisme regagne même du terrain en ce qui concerne le climat des affaires.

 

L’indicateur de situation financière, qui mesure l’écart entre le pourcentage des entreprises ayant constaté une amélioration et celui des TPE ayant enregistré une dégradation, perd à nouveau 3 points, pour s’établir à -17. La trésorerie des entreprises semble également se tendre avec 26 % des TPE dans le rouge (+ 5 points). Petites lueurs d’espoir, les demandes de financement d’investissement remontent légèrement à 16 points (mais toujours à un niveau presque deux fois moins élevé qu’avant 2009) et les TPE sont légèrement plus nombreuses à anticiper une hausse de leurs recettes au 4e trimestre qu’à envisager une baisse.

Quant à l’emploi, les résultats du 3e trimestre sont moins mauvais que ceux de la même période des quatre précédentes années. La création nette d’emplois ressort positive à + 0,5 point en dépit des nombreuses suppressions de postes. Néanmoins, ce boni ne permet pas de couvrir les disparitions de postes des entreprises ayant cessé d’exister.

L'épargne et le patrimoine des patrons de TPE

On entend ou lit souvent que le patrimoine des dirigeants de TPE est principalement constitué de l’entreprise qu’ils exploitent.

Cette affirmation est à double titre incertaine. D’une part, de nombreuses TPE ont une valeur proche de zéro, ne serait-ce que par manque d’un repreneur. D’autre part, personne ne connaît la composition et la valeur des autres éléments du patrimoine des patrons de TPE, car tout simplement, jusqu’à aujourd’hui, aucune étude ne leur avait été consacrée.

Plus de trois chefs d’entreprise sur quatre sont propriétaires de leur habitation principale, d’une valeur nette moyenne d’environ 270 000 euros (inférieure à 100 000 euros pour 31 %, comprise entre 100 et 300 000 euros pour 39 %). Si près de la moitié n’ont plus d’emprunt, la majorité des autres rembourse chaque mois une somme comprise entre 500 et 1 500 euros.

Plus de la moitié des dirigeants de TPE sont également propriétaires, directement ou par une société interposée, de leurs locaux professionnels, estimés à une valeur nette moyenne d’environ 195 000 euros (inférieure à 100 000 euros pour 49 %, comprise entre 100 et 300 000 euros pour 31 %). Un peu plus d’un sur deux est déchargé de tout endettement et la majorité des autres verse des échéances mensuelles inférieures à 1 000 euros. 19 % des patrons de TPE sont propriétaires d’un autre bien immobilier, et autant de plusieurs autres biens immobiliers.

Ce patrimoine net d’emprunts est estimé à environ 283 000 euros. La quasi-totalité des chefs d’entreprise dispose de produits financiers d’épargne, pour un capital moyen d’environ 107 000 euros (mais avec une grande dispersion : inférieur à 10 000 euros pour 30 %, supérieur à 100 000 euros pour 25 %). L’effort d’épargne mensuel est nul pour 29% et inférieur à 300 euros pour 49 %.

Les patrons de TPE misent en priorité leur épargne sur des produits financiers à faible rendement sans aucun risque ou à rendement modéré avec un faible niveau de risque, tout en cherchant des produits défiscalisés. Ils prévoient d’affecter cette épargne à la couverture de dépenses exceptionnelles (travaux, frais de santé), au financement de leur retraite ou des études de leurs enfants. Dès lors, il n’est pas surprenant de constater que les livrets (A, bleu, développement durable), le contrat d’assurance-vie et les produits d’épargne logement soient choisis, chacun, par au moins un patron de TPE sur deux.

L’épargne retraite, par le biais de contrat Madelin ou de contrat de retraite complémentaire, est peu développée, alors qu’à terme la retraite de base sera particulièrement faible. Et ceux qui ont souscrit de tels contrats cotisent souvent des sommes relativement peu élevées : les deux tiers épargnent un montant mensuel inférieur à 200 euros, alors que la charge est fiscalement déductible.